Belleville : un laboratoire de la violence anti-pauvres

Publié le par Meduse

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On reporte ici un petit article écrit par un copain parisien, concernant ses mésaventures avec la BST du 20eme et la SSIT, et un autre, de Lucioles, sur cette même brigade. Ils parlent d'eux-mêmes :

 

 

25-26 mai, voyage d’une nuit chez les profileurs de la SSIT, au 3/5 rue Riquet.

 

Balade hasardeuse sur le boulevard de Belleville. Il est autour de 18h00, la Brigade Spécialisée de Terrain, véritable brigade anti-pauvres du 20ème arrondissement, vient de procéder à une incursion en plein marché des biffins. Une vingtaine d’agents prend la foule à parti et la fait circuler en beuglant. La tension est palpable, l’agressivité des flics est insupportable. Ils n’ont arrêté personne, mais plastronnent et exhibent leur attirail guerrier : matraques et gazeuses, lanceurs de balles et gilets tactiques. Ils abusent de leur pouvoir et exercent sur la foule leur domination virile et malsaine, en l’obligeant à obéir à ses injonctions bestiales.

 

Je me trouve pris dans la nasse et refuse de me laisser pousser, exprimant mon droit le plus naturel à rester là où je me trouve. Il n’en faut pas beaucoup plus pour me faire serrer les poignets avec une paire de menottes et embarquer vers le fourgon. Je suis accusé d’avoir « provoqué une émeute ».

 

Un vieil homme d’origine algérienne me rejoint bientôt, poussé sur la banquette et violenté parce qu’il ne peut pas plier le bras derrière le dos pour se faire menotter : il est invalide. Peu importe, un flic à poil roux le serre au cou et le cogne au genou gauche pour qu’il cède. Pendant ce temps, sur le terre-plein du boulevard, un autre homme gît sur le sol, inconscient. Il vient de se faire frapper et gazer dans les yeux. Il sera lui aussi embarqué une fois revenu à lui.

 

Arrestation + 30 minutes : maison poulaga (20eme)


Direction le commissariat rue des Gâtines. Il est autour de 18h30. On poireaute trente minute avant de se voir prononcer nos droits. Pendant ces trente minutes, je fais silence, mais le vieil algérien choisit de discuter avec les flics, qui se font un plaisir de le tourner en dérision et d’enregistrer ses propos. Ils sont justes attristants de connerie. Je refuse de signer la paperasse. Peu après 19h00, après avoir été foutus en slip et fouillés une première fois, on est placés en cellule. Un matelas, un chiotte, un robinet d’eau. J’attends.

 

Arrestation + 6 heures : transfert à l’USIT (19eme)


Minuit passé, on me sort de la cellule pour m’emmener dans un fourgon avec l’homme qui gisait tout à l’heure sur le sol. On remonte jusque dans le 19ème, métro Riquet. Au 3/5 rue Riquet, le fourgon nous débarque dans les locaux pourris de l’Unité de Soutien aux Investigations Territoriales (Service d’Investigation Transversale). Là, un écervelé me fait un remake de Full Metal Jacket : « ici, tu fais pas le malin, sinon t’es mort », pensant m’impressionner. De toute façon je ferme ma gueule. Il me demande de me déshabiller : « tu t’accroupis et tu tousses ». Puis il me pousse vers la cellule numéro 2, un clapier dégueulasse qui pue la pisse. Le mur est couvert de restes de repas et le bas des murs est rongé par de l’urine. Une pile de matelas est posé sur le sol, on me donne une couverture « propre » qui sent étrangement la pisse aussi. Le sol est infecte. Dans les cellules 1 et 3 se trouvent les deux autres personnes interpellées avec moi, toutes les deux malades et visiblement incompatibles avec une mesure de garde-à-vue.

 

Arrestation + 7 heures : audition avec l’avocate


Vers 1h40, on me dit que mon avocate n’a pas pu se déplacer et je rencontre une commise d’office. Elle m’explique les nouvelles règles de la garde à vue : je peux fermer ma gueule et être assisté de l’avocat pendant l’audition. L’OPJ semble sorti d’un vieux film anglais, ils nous amène à son bureau, avant d’enjoindre l’avocate de se tenir dans l’encadrure de la porte et de ne pas intervenir dans l’audition. Les questions s’enchaînent. J’ai bien retenu la leçon : après avoir rétabli de façon concise les événements qui m’ont amenés là, je refuse de répondre aux autres questions qui participent à en savoir plus sur moi et à démontrer mon « parcours délinquant ». Après quoi, l’avocate et l’OPJ se crêpent le chignon, parce que les observations de l’avocate heurtent son ego de « flic-tout-puissant ». On sent que la nouvelle réforme a du mal à passer, les flics n’aiment pas la transparence : c’est tellement plus facile de pressurer les gens sans regard extérieur.

 

Arrestation + 9 heures : passage chez le médecin (île de la Cité)


Vers 4h30, alors que je dors enroulé dans la couverture puante pour ne pas avoir froid, on me réveille pour m’emmener avec le vieil algérien à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu. Le conducteur du fourgon trace à travers les rues désertes de la capitale avant de s’arrêter sur l’île de la Cité. Dans les étages se trouve un service aménagé avec des cellules où s’entassent les « candidats » à la visite médicale venus de différents comico de Paris. On les appelle les uns après les autres. Le contrôle est rudimentaire, expéditif. Ce n’est qu’après 7h qu’on me ramène à une voiture de police : le médecin auxiliaire de police m’a déclaré compatible avec la garde-à-vue. Dans la voiture, les flics écoutent fun-radio et discutent de leur possibles mutations.

 

Arrestation + 13 heures : retour à l’USIT


Il est 7h40 lorsqu’on passe en voiture au niveau de Stalingrad. J’aperçois les flics du maintien de l’ordre se préparer pour le rendez-vous anti-G8 de 9h. On me ramène à l’USIT où on me recolle dans la cellule qui pue. Les flics de la veille sont tous rentrés chez eux, la relève vient d’avoir lieu. Un nouvel OPJ découvre mon dossier et un nouveau maton est chargé de surveiller les gardés à vue. Le vieil algérien n’est plus là. Je m’endors.

 

Vers 9h00, un petit OPJ me sort de la cellule pour prendre mes empreintes : « si tu les donnes pas, on te défère tout de suite au parquet, t’auras au minimum un mois de prison avec sursis ». Je leur donne, en me disant qu’ils les ont déjà et que ça ne changera rien. Le petit flic me prend aussi en photo, de face, de profil, de trois-quarts et de pieds. Retour en cellule.

 

A 10h00 je pète un câble. Je leur gueule que ma détention est grotesque, que le motif pour lequel je suis là, à savoir « provocation à la rébellion », n’existe même pas dans le code pénal. L’ours qui me garde vient me faire son numéro de papa derrière la vitre : « je suis cool avec toi, alors sois cool avec moi. Si tu continues de faire chier, je fais comme au central, je te saucissonne et je te colle en contention ». Puis un OPJ débarque et m’emmène me calmer dans un coin, dans un mode « ami-ami, je te comprends et je fais tout mon possible ». Il me dit que le procu a lié mon affaire avec celle des deux personnes malades qui ont été arrêtés avec moi : on ne me libérera pas tant qu’ils ne seront pas revenus de l’hôpital. Je ne suis pas rendu...

 

Arrestation + 18 heures : remise en liberté


A 12h00 je suis finalement relâché, sans poursuite. Presque 18 heures de gardav pour que dalle, pour avoir répondu à un keuf nerveux « il n’y a aucune raison que je parte ». Mais le mal est fait, je viens d’être enregistré dans les petites fiches de la SSIT*

 

Mort aux vaches !


*Le Service de Soutien aux Investigations Territoriales (SSIT) est un service « atypique voire expérimental » composé de deux unités disponibles à 24 h/24 :

 

- L’UNITE DE SOUTIEN OPERATIONNEL intervient en aide des Services de l’Accueil, de la Recherche et de l’Investigation Judiciaire (SARIJ) sur leur sollicitation pour le traitement d’affaires requérant un renfort d’OPJ, mène également des actions particulières telles que la gestion des évènements liés aux violences urbaines, les phénomènes de bandes (émeutes issues des manifestations CPE, Gare du Nord, etc.), le racolage et traite certaines affaires sensibles incombant à la Direction de la Police Urbaine de Proximité (DPUP), des affaires d’initiative nécessitant une élaboration procédurale complexe.

 

- L’UNITE DE RECHERCHES ET D’INVESTIGATIONS a pour vocation de combattre certaines formes de délinquance précises telles que les cambriolages, les vols par ruse sur la voie publique et certains vols avec violences commis à l’aide de véhicules deux roues (vols à l’arraché, vols à la portière, etc.), avec armes ou en réunion.

 

Fort d’environ quatre-vingt-dix fonctionnaires (dont quarante Officiers de Police Judiciaire (OPJ)) la vocation essentielle du SSIT est d’élucider les infractions à caractère transversal ou nécessitant une mobilisation importante d’enquêteurs. Dotée de moyens spécifiques d’investigation, il est à même d’apporter son concours à tout service au sein de la DPUP.

Source : Service de Communication de la Préfecture.

 

http://paris.indymedia.org/spip.php?article7092

 

 


 

BST : Ils seront toujours trop proches

 

Aux yeux du pouvoir, il n’y en avait toujours pas assez. Alors que dans la vie grouillante du quartier, forcément "instable", la bleusaille semblait déjà présente à chaque coin de rue. On pouvait en effet déjà voir des agents de toutes sortes en action : à pied, à moto, ou en voiture , BAC, CRS, gendarmes mobiles, flics en civil, « correspondants de nuit » (cf. Lucioles n°1) et même si on arrivait à oublier un moment ces silhouettes invasives, les yeux discrets des caméras contribueraient de toute façon à renforcer une impression de surveillance permanente.

 

Il fallait que le quartier ait sa propre unité à disposition, sa troupe de réserve spécialement conçue pour lutter contre la « délinquance » et le désordre local calquée sur le modèle des unités spécifiques de banlieues. Celle-ci a été mise en place afin de contrôler des zones à risque, comme les six autres BST du même type mises en place depuis en Ile-De France, au passage c’est aussi la seule à avoir été assignée à un quartier de Paris même. « Il s’agit, avec la création de cette BST, de revenir au cœur du métier de la police », comme l’a souligné le patibulaire préfet de police Michel Gaudin qui l’a mise en place. Entendons par là, le clair et traditionnel artisanat de la répression, éloigné de toutes prétentions à la pacification par la médiation et le dialogue. Aussi lorsque notre préfet annonce qu’il souhaite « établir un contact plus affirmé avec la population », il faut entendre que ce « contact » n’est pas seulement à prendre au figuré. Cela pour nous rappeler que le nord-est parisien, avec sa misère et les activités illicites qui en découlent, ses tensions communautaires et ses frustrations sociales devait, plus que tout autre quartier de la capitale, subir un traitement et un contrôle particulier.

En accord avec quelques politicards de la mairie, tels que Patrick Bloche, maire PS du XIe ou Frédérique Calandra, son homologue du XXe cette nouvelle police de proximité s’est en réalité surtout vue attribuer le rôle de chasse-misère. Que les biffins et autres vendeurs à la sauvette aient l’impertinence d’exposer leur pauvreté en plein jour semblait en effet tellement insupportable à certains riverains et commerçants geignards que ceux-ci n’ont pas manqué de se plaindre ardemment à leur cher bourgmestre ; endossant ainsi le rôle de victimes alors qu’ils étaient déjà les enfants chéris du pouvoir. « Les habitants avaient le sentiment d’être abandonnés », résume Bloche.

La BST, née le 22 Janvier est rattachée au commissariat du XXe, elle est censée renouer le dialogue social à coup de menaces et d’invectives, de matraquages et d’arrestations. 25 agents, avec à leur tête le major Roland Toineau, parfaitement « de proximité ». Ils écrasent les marchandises, sifflent les passantes et accompagnent leurs actions de remarques racistes et machistes. Ils battent ainsi le pavé entre Colonel Fabien, Belleville et Couronnes, de 14h30 à 22h30 tous les jours de la semaine. Cela-dit ils aiment varier leurs horaires afin de surprendre leurs proies, aussi peuvent ils parfois être déjà opérationnels dès 10h. La plupart du temps, ils forment une unité de quatre ou cinq agents et peuvent être plus ou moins bardés de matériel. Ils peuvent ainsi cumuler gilets parre-balles, tonfas, flashballs, flingues, gazeuses, cerflex ou paires de menottes, autant dire que pour des agents de proximité, ils ne manquent pas de moyens d’imposer la leur.

 

Continuellement, ils vont harceler les vendeurs à la sauvette, rendant encore plus insupportable une situation déjà bien misérable. Ces derniers, à chaque fois que la menace surgit, s’empressent de rassembler leurs affaires, enfin ce qu’ils peuvent, avant de disparaitre derrière un coin de rue ou dans une bouche de métro. Souvent, l’interpellation s’arrête à la menace verbale et à la confiscation des marchandises, mais il n’est pas rare que certains se fassent aussi embarquer de force. Ce qui peut servir d’excuse pour expulser des sans-papiers ou faire appliquer des peines plancher. De cette manière ceux qui dirigent cette brigade se voient déjà gagner la guerre contre les pauvres : « Si, à chaque contrôle, on en embarque un, ils vont arrêter d’occuper l’espace public » pense sereinement le major Toineau.

Si effrayer les vendeurs à la sauvette demeure leur principale activité, ces agents agissent cependant aussi comme n’importe quelle unité de flics : arrestations de sans-papiers, harcèlement des prostituées, répression de la « délinquance », recueil d’informations. En résumé ils occupent le terrain, ils sont là pour qu’on les voie et qu’on les craigne. Pour information des caméras vont également être ajoutées à ce dispositif de surveillance et de répression. En agissant ainsi sur une zone donnée ils participent au travail de militarisation progressive de nos vies dont nous parlions plus tôt.

 

Heureusement, parfois, des gens s’interposent pour tenter d’empêcher ces bâtards d’accomplir leur sombre besogne. Comme après tout, il ne s’agit que de rajouter quelques grains de flics dans la flicaille. Et comme si on ne lisait pas dans bon nombre des regards qui se posaient sur eux l’oppression qu’ils dégagent et le désir de les voir disparaitre, ou plus physiquement qu’ils se fassent éclater, là comme ça, en pleine rue, au soleil, renversés et piétinés par les mêmes qu’ils humilient et oppriment tous les jours...

 

Extrait de Lucioles n°3, Bulletin anarchiste du Nord-Est de Paris, juin/juillet 2011.

 

http://luciolesdanslanuit.blogspot.com/

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