Des jeux, des frontières et du sang

Publié le par Ian

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Du 19 au 24 mai 2012 ont eu lieu à Varsovie les journées anti Frontex organisées par les occupants du squat Syrena. C'était l'occasion d'une rencontre avec une partie du milieu anarchiste de la capitale polonaise. Pas un programme chargé d'actions et de débats, mais des moments simples avec des copains et des copines vraiment accueillants et ouverts d'esprit. Une vingtaine d'étrangers, notamment venus d'Allemagne, se sont retrouvés aussi sur place pour partager des expériences et des pratiques.


 

Les copain/ines polonais.es sont engagés depuis quelques temps dans une lutte contre les expulsions locatives et l'occupation de nouveaux espaces vides. Et ce n'est pas ce qui manque à Varsovie, où les immeubles laissés à l'abandon sont légion. Une partie des activités de la semaine se sont ainsi déroulées dans une ancienne bibliothèque, momentanément transformée en salle d'exposition de portraits de la dissidence, collés comme des affiches sur les murs décrépis du grand hall de ce bâtiment vide.


 

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Varsovie est en pleine transformation urbaine. L'un des grands chantiers actuel est celui engagé en préparation de la coupe de l'UEFA 2012 qui se tient au moment où j'écris ces mots. A l'Est de la capitale, au carrefour Washington, se dresse depuis un an un immense stade de football qui fait la fierté des autorités polonaises. Ce monstre à 450 millions d'euros se targue de pouvoir accueillir 58 000 spectateurs.


 

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Le projet aura fait couler du sang et des larmes. Avant cet « éléphant blanc » se dressait déjà un vieux stade en ruine qui a notamment accueilli les grandes manifestations du régime communiste, puis une grande messe de Jean-Paul II en 1983. Abandonné, il a retrouvé vie en 1989 lorsqu'il a commencé à héberger le plus grand marché à ciel ouvert d'Europe, le Jarmark Europa. Dans les années qui ont suivi, il a également accueilli un vaste marché libre sur lequel les plus pauvres pouvaient faire de la biffe pour survivre au capitalisme triomphant. De nombreux immigrants, notamment nigérians, se sont ainsi installés parmi les plus de 20 000 vendeurs déjà présents.


 

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Mais le gouvernement avait d'autres ambitions. Choisie pour accueillir la coupe d'Europe de football en 2012, Varsovie a décidé que le marché devait disparaître pour laisser place au nouveau stade national. Fixant un ultimatum aux vendeurs, le gouvernement a fait fermer le marché le 30 septembre 2007. Puis s'est ensuivi une chasse systématique aux vendeurs à la sauvette, qui a aboutit le 23 mai 2010 sur la mort d'un vendeur nigérian, Maxwell Itoya.


 

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Maxwell avait 36 ans et vivait en Pologne depuis huit ans. Il était marié à Monika, polonaise, dont il avait eu trois enfants. Il vendait sur le marché des chaussures de contrefaçon. Le 23 mai 2010 à 10 heures, des policiers en civil ont mené un raid sur le marché avec une violence qui a surpris les témoins. Alors qu'ils arrêtaient un vendeur, le ton est monté et Maxwell a protesté au même titre que d'autres face à l'arbitraire de leur intervention. Malgré l'absence d'agressivité de la part de Maxwell (et quand bien même), l'un des flics lui a tiré dessus. Maxwell est mort presque immédiatement.


 

 

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Tout de suite après la mort de Maxwell, 32 personnes ont été arrêtées et accusées d'avoir agressé les policiers. Dés le lendemain, les actions de solidarités se sont multipliées. Le racisme et la violence de la police ont été vivement dénoncées, jusque dans les grands médias que la question n'émeut pas trop d'habitude. Cette solidarité se poursuit encore aujourd'hui.


 

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Deux ans après, la place est vide. La transformation urbaine a réussi. A force d'agressions policières, les autorités ont fait place nette. Là où s'étendait autrefois le marché s'étend désormais une immense étendue déserte. Les jeux sont ouverts !


 

La grande messe footballistique peut commencer, les hordes de supporters imbéciles peuvent se ruer sur le grand stade et piétiner de leur ferveur consommatrice les espaces aseptisés qu'on leur a spécialement préparé à grand renfort de matraques. Et, pour l'occasion, même les accords de Schengen sont amendés le temps de quelques semaines, pour que les heureux spectateurs puissent circuler sans entrave entre la Pologne et l'Ukraine, où là aussi des matches se tiendront.


 

Mais attention, quelques 130 officiers Frontex seront là pour bien rappeler aux immigrants que les frontières restent fermées pour eux. Seuls les riches européens pourront aller et venir entre l'Europe forteresse et l'Ukraine de Viktor Ianoukovitch. Les autres auront le plaisir de s'entasser derrière les grilles des centres de rétention de Przemysl, de Biala Podlaska ou de Byalistok. Quand aux migrants tchétchènes, ils seront heureux d'apprendre que des policiers russes seront exceptionnellement présents sur cette frontière pour assister leurs collègues européens. A défaut de football, les réfugiés tchétchènes pourront toujours jouer à la roulette russe.


 

Durant les journées anti Frontex, nous auront quand même réussi à commémorer la mémoire de Maxwell Itoya et à faire part à l'agence Frontex de ce qu'on pense d'elle, en barbouillant sur le toit de l'immeuble faisant face à son quartier général « FRONTEX KILLS ! »

 

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Le stade en feu, Frontex au milieu !

 

 

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- vue depuis les locaux de Frontex -

 


LIENS :

 

Sur les journées anti Frontex :  1

 

Sur le stade et le marché : 1, 2, 3 (video), 4 (video)

 

Sur la mort de Maxwell et ses suites : 1, 2, 3  , 4

 

Sur l'opération Frontex pour l'Eurocup 2012 : 1

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